Près de la cuisinière, un arbuste a poussé. Ils ont failli l’arracher, mais Nico le poète trouve que c’est chouette un peu de verdure dans tout ce béton. Fred s’approche du mur vitré de l’atelier désaffecté. Certains des vitrages sont brisés ou remplacés par des panneaux de bois. Ils ont sommairement rafistolé les plus abîmés mais le fond de l’air est frais. Il scrute le paysage catastrophe à la recherche d’un signe de vie. Un volet claque sans discontinuer, face à lui d’autres bâtiments d’usines attendent qu’on les démolisse ou qu’on leur accorde une deuxième chance. Le vent se glisse partout et joue négligemment avec un drapeau français en lambeau. Une carcasse de bagnole rouille en silence. Accroché à l’antenne, un bout de dentelle crasseux pendouille. Coincés sur le siège arrière, deux mariés fantômes se roulent une pelle éternelle.
(…) mains dans les poches, Fred observe son reflet qui semble flotter sur l’arrière-plan dévasté. Derrière lui Bogdan rugit. Il vient d’assassiner un énième New-yorkais. Un meurtre virtuel de plus gravé dans son cerveau détraqué. Dehors, les buses s’éclatent, entrent par les fenêtres aux vitres cassées, traversent l’obscurité des ateliers déserts et giclent comme des flèches empoisonnées dans les derniers rayons de soleil. Qu’il regarde ces rapaces de malheur ou l’écran sur lequel un tueur bousille tout ce qui bouge, Fred se chope en plein cœur la violence de ce monde en décomposition.
Les Pixels Morts – Marie-Hélène Branciard – Novembre 2022.
Photo : Laurence Gras de Pixabay.